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A la découverte de Budapest et de la Hongrie dans toutes leurs variétés !

Vues de Budapest - Hongrie

Imre Kertész : Discours de Stockholm - 2002 - #2

Imre Kertész : Discours de Stockholm  - 2002 - #2

Publié le 17 Juillet 2008 sur le blog de Flora (Rozsa Tatar)

Un grand merci à Rozsa de m'avoir autorisé à reproduire sa traduction!

http://rozsaflo.blogspot.fr

http://flora.over-blog.org

Mais je voudrais revenir à mon affaire strictement personnelle, à l'écriture. Il y a ici quelques questions qui, dans ma situation, ne se posent même pas. Jean-Paul Sartre, par exemple, consacre tout un petit bouquin à la question : "pour qui écrivons-nous?". C'est une question intéressante mais elle peut aussi être dangereuse, et, en ce qui me concerne, je suis reconnaissant au destin de ne jamais avoir dû y réfléchir. Regardons un peu en quoi consiste sa dangerosité. Par exemple, si nous optons pour une classe sociale que nous voudrions non seulement émerveiller mais aussi influencer, alors nous examinons avant tout notre propre style pour savoir s'il est apte à exercer une telle influence. L'écrivain est vite en proie aux doutes : le problème est qu'il sera continuellement occupé à s'observer. Et puis, comment pourrait-il savoir ce qui plaît à son public, ce que celui-ci désire en réalité? Après tout, il ne peut pas interroger chaque personne. Et quand bien même, ce serait vain. Il ne peut que partir de sa propre idée concernant ce fameux public, de ce que lui imagine être les exigences de ce public, de ce qui exercerait sur lui-même l'influence qu'il aimerait obtenir . En un mot, pour qui écrit l'écrivain? La réponse est évidente : pour lui-même.

Quant à moi, je peux dire au moins que j'ai abouti à cette réponse sans aucun détour. Il est vrai que ma tâche était plus facile : je n'avais pas de public et je ne voulais influencer personne. Je n'ai pas commencé à écrire en visant un but, et ce que j'écrivais ne s'adressait à personne. S'il existait un but formulable à mon écriture, ceci consistait en une fidélité à la forme et à la langue et en rien d'autre. Il est important de tirer cela au clair concernant l'époque tristement ridicule de la littérature engagée et dirigée par l'état.

J'aurais plus de mal à répondre à la question légitime et non dépourvue d'une certaine scepticisme, à savoir : pourquoi écrivons-nous? J'ai encore une fois eu de la chance car le choix ne s'était même pas posé. D'ailleurs, j'ai fidèlement relaté cet événement dans mon roman Le Refus (A kudarc). Je me trouvais dans le couloir désert d'un bâtiment administratif et j'ai entendu des pas bruyants du côté du couloir transversal. Une étrange émotion s'est emparée de moi, car les pas s'approchaient, et, bien que provenant d'une seule personne, ils me donnaient l'impression soudain d'entendre les pas de centaines de milliers de pieds. Ils étaient semblables à un défilé qui progresse; et tout d'un coup, j'ai saisi la force d'attraction de ce défilé, de ces pas. Ici, dans ce couloir, j'ai compris en une minute la jouissance de se rendre, l'ivresse de se perdre dans la foule, ce que Nietzsche appelle - il est vrai, dans un autre contexte, mais qui y va, finalement - sensation dionysienne. Une vraie force physique me poussait vers les rangs et j'avais l'impression que je devais me blottir contre le mur pour ne pas céder à l'attraction envoûtante.

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